De la vase à la brique – 1 an d’expérimentation à venir au Repair

Résumé

La vase du port de Morlaix est actuellement considérée comme un déchet. 6000 m3/an sont pompés pour permettre au port d’exister. Plutôt qu’une charge pour la collectivité, le Repair la voit comme une ressource renouvelable et l’opportunité de création d’un matériau local sous forme de briques destinées à la construction.

Le Repair envisage d’expérimenter la transformation de ces sédiments de dragage du port de Morlaix en briques de terre crue afin de créer un matériau de construction écologique et local.
L’expérimentation sur un an visera à déterminer le processus de fabrication le plus intéressant (brique de terre compressée, autres tests de matériaux, quantification du besoin en fibrage) au regard des propriétés du matériau produit et de ses conditions de fabrication.

Des tests en labo et de mise en œuvre in situ sont à prévoir pour garantir les valeurs de ce matériau et son utilisation dans la construction.

L’enjeu est de pouvoir créer à la suite des résultats de l’étude-action une briqueterie viable répondant à des logiques de non-lucrativité et de fournir une alternative écologique locale aux matériaux couramment utilisés.

Pour cette expérimentation nous comptons transformer quelques mètres cubes de matière, de manière à produire 5000 à 7000 briques, équivalent à une surface de murs d’environ 100m². Une quantité suffisante pour effectuer tous les tests souhaités tout en limitant les moyens de transport et de stockage mobilisés.

Une première phase de préparation méthodologique et technique précède la fabrication, le séchage, les tests en labo, la mise en œuvre avant de tirer le bilan de l’expérimentation.

Pour mener le projet, une personne sera embauché pour un an à compter du 19 novembre. Candidature possible jusqu’au 18 octobre.

Description du poste ici

Pourquoi au repair ?

Acteur de l’économie circulaire agissant sur le Pays de Morlaix, l’association Le Repair a l’ambition d’organiser le chaînon manquant favorisant la réutilisation et le réemploi de matières et de matériaux de construction plutôt que leur recyclage ou enfouissement. Agissant dans des logiques de non-lucrativité, de partage et d’éducation populaire, l’association souhaite agir en faveur d’une transition écologique fermement ancrée dans la transformation sociale sur son territoire.

Pour ce faire, l’association Le Repair porte une recyclerie de matériaux à Pleyber-Christ, structure ayant vocation à rassembler tous les matériaux de construction destinés à devenir déchets mais pouvant connaître une seconde vie sans transformation. Triés et nettoyés, ils sont ensuite proposés à la vente à prix libre dans son magasin solidaire.

Le Repair, c’est aussi plus qu’un magasin de matériaux de seconde main. C’est un lieu qui se veut vivant et ouvert. Ouvert aux projets liés au réemploi, à l’écologie, au social, à la fabrication, à la création. D’où le lancement d’un atelier partagé , ouvert aux particuliers sur abonnement, permettant le travail, sur du matériel professionnel, du bois, du métal, la peinture et le vernissage, le sablage. Le tout dans un esprit de transmission et d’entraide.

Le Repair place parmi ses axes d’actions la recherche & développement sur les matériaux, dans une approche low tech associant réponse aux besoins essentiels, sobriété des moyens mobilisés, accessibilité des process, durabilité des techniques.

C’est ainsi que l’association s’est intéressée dès 2019, avant même l’ouverture de la recyclerie, aux sédiments de dragage du port de Morlaix. Voyant cette matière comme une ressource perdue, des contacts avaient été pris pour se renseigner sur la composition et le devenir de cette vase bien encombrante pour la collectivité.

5 ans plus tard, l’envie se concrétise avec le financement par Morlaix Communauté d’une étude-action conforme à nos volontés de tester la valeur et l’intérêt de cette matière une fois transformé en matériau de construction.

De premières expérimentations sur la vase

La recyclerie ouvrant et le principal des moyens se trouvant affectés au lancement et développement de cette activité, le sujet de la vase a été mis de côté jusqu’à l’arrivée en service civique de Gladys Cadieu en octobre 2022.
Missionnée sur une partie de son temps sur la recherche sur la création de matériaux, Gladys Cadieu a pu mener des expérimentations sur la vase du port de Morlaix. Elle a suivi en cela les intuitions de l’association que la vase, retravaillée, pourrait devenir un matériau de construction local sous forme de brique crue. Intuitions que les tests de composition de Morlaix Communauté laissaient présager comme favorables.

Gladys Cadieu a ainsi réalisé de premières briques de vase sous forme d’adobes ainsi qu’un essai de torchis. Si le torchis ne s’est pas avéré concluant, fissurant rapidement, l’adobe s’est elle avérée prometteuse.

Il est à noter qu’elle n’a pas pu aller aussi loin que souhaité, du fait d’un accès à la matière encore compliqué à l’époque avec Morlaix Communauté. De plus, des incompatibilités d’agendas avec le connaisseur local de la terre crue, ont empêché l’utilisation de sa presse pour tester la fabrication de briques de terre compressée (BTC).
Les enseignements de ces tests nourrissent l’envie de pousser plus loin et l’ouverture donnée par Morlaix Communauté pour un accès à la matière est pour nous l’opportunité de concrétiser ce projet.

La transformation de ce matériau en brique intéresse d’autres acteurs sur la région, avec notamment :

  • les travaux de l’agence d’architecture Saab sur les boues de la Rance

  • l’expérimentation V.A.S.E. des designers Nicolas Barreau et Jules Charbonnet de réalisation de briques et de bardeaux de vase du Golfe du Morbihan pour une installation visible au musée la Cohue de Vannes en 2023.

 

Le projet : de la vase à la brique

Fidèle à ses principes, le Repair cherche à voir comme des ressources les matériaux perçus comme des déchets. Consécutivement aux premiers tests effectués, l’enjeu est ici de pousser plus loin la démarche et de créer un matériau de construction local à partir des sédiments de dragage du port de Morlaix.

Pour ce faire plusieurs points sont à étudier :

  • fabriquer différents types de produits

  • analyser leurs propriétés et qualités

  • réaliser des tests de mise en œuvre et suivre leur évolution

  • ébaucher un modèle économique pour la mise sur pied d’une activité respectant les principes de l’ESS

La Fabrication

Pour des raisons écologiques, il est envisagé de travailler à la fabrication de briques de terre crue plutôt que cuite, ce procédé évitant l’utilisation d’une quantité importante d’énergie pour la cuisson. De plus, la terre crue a prouvé au travers des millénaires ses qualités indéniables tant du point de vue de son coût que de ses performances.

De nombreuses techniques existent en ce qui concerne le travail de la terre crue. Il nous semble préférable de la travailler et la former en priorité sous forme de brique, produit facilitant sa fabrication standardisée à grande échelle, son transport et sa mise en œuvre sur chantier.

Les briques de terre crue se divisent en 2 familles :

  • les adobes : au façonnage économe en ressources et aisé, par simple moulage, faisant peser peu de contraintes sur l’hygrométrie de la matière mais au temps de séchage assez long d’environ 3 mois

  • les briques de terre compressées (BTC) : nécessitant une mécanisation via une presse, mais au temps de séchage beaucoup plus court, autour de 1 mois

On considère que des novices sont capables de produire entre 150 et 200 adobes par jour quand le rendement en BTC peut être beaucoup plus élevé. Il serait imprudent de proposer un chiffre tant la production dépend de la machine utilisée et de son actionnement, force physique ou motorisation.

Les 2 types de briques seront produites à partir des sédiments de dragage afin d’observer les qualités propres à chacune en regard de leur coût de fabrication. L’accent sera mis sur la fabrication de BTC qui ont l’avantage d’un séchage plus rapide et d’une plus grande facilité de transport et de mise en œuvre.

Il est prévu de réaliser différents types de brique en faisant varier leur taille et leur fibrage afin que les tests opérés révèlent le produit idéal au vu des caractéristiques de la matière.

Le fibrage est l’addition de matières ayant vocation à augmenter les performances de la brique en termes d’isolation et de résistance à la flexion.
Sont déjà prévus d’être testés les fibrages à base de paille de blé , de chanvre et copeaux de bois, dans différentes proportions.

Pourra aussi être testé l’addition de chaux ou autre liant à la matière. L’inconvénient est que la brique produite ne pourra pas forcément être recyclée pour former de nouvelle briques à la fin du cycle de vie du bâtiment.

 

L’expérimentation reste aussi ouverte au tests de réalisation d’autres matériaux de terre crue, tels que la terre crue banchée, la préfabrication de panneaux… qui seront à explorer durant le projet au regard de nos moyens techniques.

Précautions méthodologiques

Plusieurs étapes jalonnent la fabrication de briques de vase crue :
collecte / préparation / façonnage / séchage et stockage

Collecte
La vase séchée est stockée dans un site dédié, avec différentes durées de séchage. La quantité nécessaire sera chargée mécaniquement en camion avant d’être transvasée en bigbags manœuvrables par chariot élévateur. au site de préparation et façonnage.

Préparation
La vase séchée rendue accessible par Morlaix Communauté est à l’état sec et répartie en plusieurs lots de granulosité différente.
La consistance nécessaire de la matière pour produire des briques doit répondre à des exigences de tenue, de cohérence et de malléabilité avant le façonnage, correspondant à la texture de la pâte à modeler ou d’une boule de mie de pain.

Ces critères peuvent nécessiter dans les opérations de préparation potentiellement une adjonction d’eau (pour faire le liant) et le mélange de la matière (pour une granulosité homogène). Ces opérations peuvent se faire manuellement, par l’utilisation d’un cheval ou par un malaxeur. Durant l’expérimentation les 2 premières solutions seront privilégiées.
A titre d’exemple, on estime que le taux d’humidité de la matière doit être de 40% pour façonner des BTC.

Façonnage
Comme dit plus haut, 2 techniques de façonnage seront utilisées : l’adobe et la BTC.
Pour les adobes des moules en bois seront fabriqués tandis que pour les BTC, nous souhaiterions utiliser la presse manuelle lourde de la Dérive. Celle-ci permet d’exercer une pression supérieure à 20 bars.

Il sera nécessaire de bien noter les conditions de fabrication pour que les tests réalisés par la suite soient les plus fiables possibles. Les briques produites seront pesées tout au long du processus.
De même le retrait, contraction des briques durant le séchage sera mesurée. Le phénomène de retrait se produit en particulier sur les adobes dont l’humidité n’est pas chassée de la même manière que les BTC avec la presse.

Séchage et stockage
Des surfaces de stockage, couvertes, sont prévues, avec des emplacements figurant les différents lots tests.
Idéalement cet espace se situe à couvert pour éviter les risques de fissuration liés à l’exposition en plein soleil.

Traditionnellement le temps de séchage est estimé à 3 mois pour les adobes et 1 mois pour les BTC.

Récapitulatif des variables à tester (projet, amené à évoluer) :

  • technique : adobe et BTC

  • fibrage : 3 essais de matériaux (paille de blé, chanvre, copeaux de bois)

  • dimensions de la brique : 2 à 3 tailles d’adobe, 1 taille de BTC

  • temps de séchage : 3 durées différentes.

Les différentes combinaisons font apparaître entre 54 et 72 produits possibles. Quelques centaines de briques d’un même type sont nécessaires pour réaliser un test de mise en œuvre significatif. Il est évident que toutes les combinaisons ne pourront être testées pour la mise en œuvre et les tests en laboratoire et que des choix seront à opérer.

Tests et analyses

Des analyses de la collectivité sont déjà disponibles pour la matière brute. Les résultats laissent apparaître une composition favorable à la réalisation de briques dans les proportions d’argile, de limon et de sable. La fabrication fera évoluer la nature de la matière. Aussi, des analyses et tests en laboratoire seront essentiels pour déterminer les caractéristiques et performances des matériaux produits.

Pour évaluer l’usage en tant que matériau de construction il sera impératif de tester notamment la résistance à la compression et à la flexion, la résistance au feu, le coefficient thermique, l’innocuité sanitaire des briques produites.

Mise en œuvre

Suite aux tests en labo, des tests de mise en œuvre des matériaux seront réalisés avec des maçons spécialisés en terre crue.

Le Repair n’aura pas de mal à trouver des espaces pour expérimenter la mise en œuvre de murs. Il s’agirait de petits murs ou de petits cabanons. Des chantiers participatifs pour découvrir ces modes constructifs seront menés.

Des essais d’enduits seront apposés sur les briques pour éviter la lixiviation des briques, étape indispensable sur la maçonnerie terre crue exposée aux éléments.

Des contrôles réguliers seront effectués quant au risque de fissuration, celui-ci intervenant en particulier dans les premières semaines suivant la mise en œuvre
De même, une attention particulière sera portée aux conditions météorologiques des sites d’implantation : pluviométrie, vent, exposition au soleil. Une tenue face à ces 3 éléments signifiant un matériau de qualité.

Les moyens au service du projet

Ce projet va occuper le Repair pendant une année, à partir du mois de novembre. Pour le mener à bien l’association engage 1 personne chargée spécifiquement de cette expérimentation. Un groupe intégrant coprésidents, bénévoles et le coordinateur cadrera, suivra et accompagnera l’étude dans son quotidien.

Autour, un groupe d’experts sera mobilisera pour aiguiller les choix techniques et scientifiques, faisant bénéficier ces tests de leur expérience.

En plus de rendre de rendre compte avec une rigueur scientifique à Morlaix Communauté des avancées et résultats, il est prévu de rendre ceux-ci accessibles au plus grand nombre à travers présentations publiques et une exposition.

S’il est dans sa nature de défricher de nouvelles voies d’éviter les déchets, Le Repair n’a pas nécessairement vocation à porter ensuite le projet d’une briquetterie. Mais si les résultats sont aussi concluants que nous le souhaitons et que note association ne s’en empare pas elle-même, il nous plaira de mettre à disposition les résultats auprès d’acteurs désireux de porter ce projet et s’inscrivant dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.